Un vent de liberté souffle sur les compositions de Florence Naprix. Une liberté revendiquée, argumentée, célébrée dans les paroles comme la musique de ses quatorze chansons. Fann Kann, le titre même de l’album, est une invitation à l’évasion. En français, il signifie prendre la clé des champs. Une métaphore toute personnelle, que la jeune femme tenait à offrir en partage. Traductrice, libraire, il lui en fallu, de la volonté, pour abandonner un emploi sécurisant et emprunter les chemins hasardeux d’une vie d’artiste, les pentes escarpées de la musique. Et pas n’importe laquelle ! Celle qui lui plaît, sans compromis ni Formataj. Cette volonté, elle la chante dans Doubout. Nul besoin d’attendre une quelconque bénédiction pour se réaliser, aide-toi et le ciel t’aidera. Mais la liberté ne s’expérimente pas que dans le travail. Elle est aussi vitale en amour, un sentiment omniprésent dans les chansons qui composent l’album. Torride dans Flanm, désabusé dans Kriyé mwen, inquiet dans Rézon à kè, bafoué dans On lapli, serein dans Solèy lévé, apaisé dans Kaz an mwen… l’amour irradie dans chaque note de la vie d’une femme d’aujourd’hui qui entend éprouver pleinement son désir et briser ses dernières chaînes.
Florence Naprix clame haut et fort ce qu’elle est. Une guadeloupéenne qui chante dans sa langue, le créole. Une héritière de l’âme des nègres marrons, Nanm a nèg mawon, ces hommes et femmes qui, au risque de leurs vies, fuyaient l’esclavage sévissant sur les plantations antillaises. Elle chante son histoire et ses racines sans rancoeur ni agressivité. Et si l’on sent poindre déception et colère dans Konsyans, une chanson dans laquelle elle déplore l’immobilisme et le manque de solidarité des siens, c’est pour mieux en appeler à leur sens des responsabilités. L’espoir, toujours.
Zouk, biguine, soul, jazz, rock, compas, gwoka… Fann Kann est un album riche d’influences qui – et c’est l’une de ses grandes forces –, ne verse ni dans la nostalgie ni le rétro. Chaque rythme est ré-exploré, chaque style revisité. Comme chez tous ceux dont l’enfance, dans les années 80, a été bercée par les tubes de Kassav’, l’empreinte du zouk originel est forte. Mais, ici, elle n’étouffe ni ne fossilise. Et c’est sans complexe que Florence Naprix interprète On krèy bigin, un pot-pourri de biguines, aux côtés de Jocelyne Béroard, la reine incontestée du zouk. Deux générations de chanteuses, un duo hautement symbolique, l’amorce d’une nouvelle voie. Florence Naprix, avec la complicité de son chef d’orchestre, Stéphane Castry, et de ses talentueux musiciens, explore, expérimente, en quête de son propre style – exigeant, libre et heureux.
Franck Salin